Dans cette courte lettre adressée à son disciple Toki en 1255, Nichiren aborde de grands principes du bouddhisme et notamment le moyen pour chaque être humain de s'éveiller à sa nature de bouddha.
Si vous souhaitez vous libérer des souffrances de la naissance et de la mort endurées de toute éternité et parvenir absolument à l'illumination en cette vie, vous devez vous éveiller au principe mystique inhérent à toute vie. Ce principe est Myoho-renge-kyo. Réciter Myoho- renge-kyo vous permettra de saisir ce principe mystique dans votre propre vie. Myoho- renge-kyo est le roi des sûtras, parfait du point de vue littéral comme du point de vue théorique. Ses caractères sont la réalité de la vie, et la réalité de la vie est Myoho , la Loi merveilleuse. On l'appelle Loi merveilleuse parce qu'elle élucide la relation d'inclusion mutuelle entre une vie et tous les phénomènes. C'est ce qui fait de ce sûtra la sagesse de tous les bouddhas.
À chaque instant, la vie inclut à la fois le corps et l'esprit,-le soi et l'environnement de tous les êtres sensitifs comme non sensitifs plantes, arbres, ciel, terre et jusqu'au plus petit grain de poussière dans toutes les conditions de vie (1). À chaque instant, -une vie pénètre l'univers et se révèle dans tous les phénomènes. S'éveiller à ce principe, c'est saisir en soi-même cette relation.
Même si vous pratiquez et croyez en Myoho-renge-kyo, si vous considérez cette Loi comme extérieure à vous, ce n'est pas en la Loi merveilleuse que vous croyez, mais en un enseignement inférieur. «Enseignement inférieur» s'applique aux enseignements autres que ce Sûtra, c'est-à-dire provisoires et transitoires. Aucun enseignement provisoire ne conduit directement à l'illumination. Sans chemin direct vers l'illumination, on ne peut atteindre la bouddhéité, même si l'on pratique vie après vie pendant d'innombrables éons. Et il est donc alors impossible d'atteindre la bouddhéité en cette vie-ci. Par conséquent, en récitant la Loi merveilleuse et en lisant le Sûtra du Lotus, il faut absolument faire surgir du plus profond de vous la conviction que Myoho-renge-kyo n'est rien d'autre que votre propre vie.
Ne recherchez jamais aucun des enseignements de Shakyamuni, ni les bouddhas et bodhisattvas de l'univers, en dehors de vous-même. Votre maîtrise du bouddhisme n'atténuera pas, si peu que ce soit, vos souffrances de simple mortel tant que vous n'aurez pas perçu la nature fondamentale de votre propre vie. Si vous cherchez l'illumination en dehors de vous-même, toutes vos pratiques et bonnes actions n'auront aucun sens. Ainsi, un pauvre ne gagnera pas un sou s'il se contente de compter jour et nuit la fortune de son voisin. C'est pourquoi Miao-lo dit : «Si l'on n'observe pas la nature de son propre coeur, on ne peut effacer son mauvais karma. (2)» Cela signifie que la pratique de ceux qui n'observent pas leur coeur devient une austérité pénible et sans fin. Miao-lo les condamne en citant un passage du Maka Shikan : «Bien qu'ils étudient le bouddhisme. ils reviennent à des conceptions non bouddhiques.»
Réciter le nom du Bouddha (3), lire le Sûtra, ou simplement offrir des fleurs ou brûler de l'encens, tous ces actes seront source de bienfaits et de bonne fortune dans votre propre vie. Avec cette conviction, mettez votre foi en pratique. Ainsi le sûtra Jyômyô révèle que l'illumination du Bouddha se trouve dans la vie humaine, montrant que de simples mortels peuvent devenir bouddhas et que les souffrances de la naissance et de la mort peuvent se changer en nirvana. Il y est dit encore que, si le coeur des hommes est impur, leur terre est impure, mais si leur coeur est pur, leur terre l'est également. Ainsi, il n'y a pas deux sortes de terres, pure et impure en elles-mêmes. Il n'y a que la pureté ou l'impureté de notre coeur.
Il n'y a pas non plus de différence entre un bouddha et un simple mortel. Dans l'illusion, on est simple mortel, mais, une fois éveillé, on est bouddha. Un miroir terni brillera comme un joyau si on le polit. Un coeur maintenant assombri par les illusions nées de l'obscurité fondamentale de la vie est comparable à un miroir terni, mais, si on le polit, il devient immanquablement un clair miroir qui reflète l'illumination de la vérité immuable. Faites surgir une foi profonde et polissez votre miroir sans relâche, jour et nuit. Comment le polir ? Seulement en récitant Nam-myoho-renge-kyo.
Que désigne donc Myo ? C'est uniquement la nature mystérieuse de notre vie, d'instant en instant, que l'on ne peut saisir par la pensée ni exprimer par les mots. Si vous vous interrogez sur la nature de votre esprit à un moment donné, vous ne percevez ni couleur ni forme prouvant qu'il existe. Mais vous ne pouvez pas non plus dire qu'il n'existe pas, car diverses pensées ne cessent de se présenter à vous. La vie est une réalité difficile à saisir qui échappe aux mots et aux concepts d'existence comme de non-existence. Elle n'est ni existence, ni non-existence, et pourtant manifeste tantôt l'un de ces aspects, tantôt l'autre. C'est l'entité mystique de la Voie du Milieu, réalité unique de toutes choses. On appelle Myo la nature mystérieuse de la vie et Ho ses manifestations.
Renge , la fleur de Lotus, symbolise la nature mystique de cette Loi. Lorsque vous réalisez que votre propre vie est la Loi merveilleuse, vous réalisez que celle des autres l'est également. Cet éveil s'exprime par Kyo , le Sûtra merveilleux. C'est le roi des sûtras, la voie directe vers l'illumination, car il explique que l'entité de notre esprit, d'où naissent le bien comme le mal, n'est autre que l'entité de la Loi merveilleuse. Si vous avez une foi profonde en cette vérité et récitez Myoho-renge-kyo, vous atteindrez sans aucun doute la bouddhéité en cette vie. C'est pourquoi il est dit dans le Sûtra : «Après ma mort, pratiquez avec foi en ce Sûtra du Lotus. Ceux qui le feront emprunteront la voie directe vers la bouddhéité. (4)» N'en doutez jamais, si peu que ce soit, mais gardez votre foi et parvenez à l'illumination en cette vie. Nam-myoho-renge-kyo, Nam-myoho-renge-kyo.
Respectueusement,
Nichiren
(Lettres et traités de Nichiren - vol. I, p. 3)
Notes
/ 1. Dans toutes les conditions de la vie dans chacun des Dix Mondes (ou états), ou ichinen sanzen.
/ 2. Maka Shikan Bugyôden Guketsu, vol. IV.
/ 3. Le nom du Bouddha : ici, cela désigne Nam-myoho-renge-kyo.
/ 4. Sûtra du Lotus, chap. 21.
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